Vice-président du conseil départemental du Bas-Rhin en sa qualité d’élu des quartiers sud de Strasbourg, conseiller municipal de Strasbourg et ancien député, Jean-Philippe Maurer défend la liberté d’expression chère à la France.
Quelle est votre définition personnelle de la liberté d’expression ?
Je reprendrais la définition de Beaumarchais : “Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur.” Un éloge suppose un esprit critique. La liberté d’expression suppose donc que l’on puisse à la fois se féliciter d’une chose que l’on apprécie mais également que l’on puisse dire ce que l’on n’apprécie pas en observant, bien entendu, le respect dû à chacun.
La France est-elle, pour vous, un pays exemplaire en termes de liberté d’expression ?
Il y a toujours mieux ailleurs mais la France n’a pas à rougir de la liberté d’expression qu’elle confère à l’ensemble de ses concitoyens. Indépendamment de la liberté d’expression que garantit l’organisation de nos institutions, nous disposons aussi aujourd’hui d’un nouvel espace de liberté grâce aux réseaux sociaux. Ils donnent plus d’espace à beaucoup de gens qui jusque-là, par exemple, n’arrivaient pas à communiquer via les médias dans lesquels la place est restreinte, le temps accordé plus faible qu’auparavant. Pour autant, il faut faire attention car si les réseaux sociaux offrent le meilleur, ils permettent aussi le pire.
A la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo, est-ce que la liberté d’expression a été bafouée ?
Elle a d’abord été bafouée par les auteurs même de cet attentat. Ils ont tué des journalistes et visé un journal en particulier. Nous sommes tous libres d’apprécier ou non Charlie Hebdo mais nous ne devons à aucun moment renier sa liberté d’expression. Nous ne devons pas omettre que la liberté d’expression s’exprime autant par la parole que par la plume. Pour les auteurs de cet attentat s’en prendre à un journal et à des journalistes était un symbole. Les Français ont senti que la liberté d’expression et de penser était menacée. C’est pour cette raison qu’ils étaient si nombreux à participer aux manifestations qui ont suivi les faits. En même temps que certains étaient dans la rue, on a aussi entendu des gens, notamment des jeunes, dire que les journalistes de Charlie Hebdo n’avaient eu que ce qu’ils méritaient. Il a alors fallu œuvrer pour expliquer à certains les faits et leur rappeler que la liberté d’expression est un droit, que les appels aux meurtres sont punis par la loi…
Selon vous, la tuerie de Charlie Hebdo est-elle une preuve que la liberté d’expression n‘est pas un acquis et qu’il faut la défendre sans cesse ?
Dans la vie, rien n’est jamais acquis définitivement. Il faut donc, de temps à autre, défendre ce qui existe. La liberté d’expression peut être menacée de façon ostensible, par des meurtres par exemple, et de façon induite, par des restrictions mises en place par les institutions. Mais elle peut l’être encore de façon plus subtile, et parfois plus nuisible, par la crainte de déplaire. Celle-ci pousse certaines personnes à se taire. Il peut exister une police de la pensée conduisant certains à estimer que “bah non ça je ne peux pas le dire, ça je le peux”. On sent du coup qu’on ne peut pas pousser le débat sur certains sujets. On appelle parfois cela le “politiquement correct”. Dans certains cas, cela empêche de rentrer dans la discussion et peut créer beaucoup de frustration. Dans tous les cas, je crois que la liberté d’expression nécessite d’écouter son contradicteur et d’argumenter. Il ne faut pas se limiter à des slogans mais développer sa propre pensée. Il faut mener un travail personnel de réflexion, de lecture et prendre en compte les diverses opinions.
En tant qu’élu et homme politique, comment défendez-vous au quotidien le droit de chaque citoyen aux principes de la liberté d’expression ?
D’abord j’écoute tout le monde et je vais partout car il est indispensable de ne pas se réfugier uniquement dans son propre univers. Je fréquente des gens de tous les horizons, de toutes les cultures, de toutes les religions. Dans les quartiers sud de Strasbourg, où je suis élu, je participe ainsi, par exemple, aussi bien au Nouvel an avec des membres de la communauté juive, qu’avec des chrétiens, des musulmans ou des gens originaires d’Asie. Je réponds aux invitations de chacun. Je les écoute. J’ouvre les yeux. Je m’intéresse à eux, à leurs références. C’est une façon de respecter la liberté de chacun, la liberté d’expression de chacun. Nul ne doit se comporter en censeur, dire ça c’est bien ou pas, vouloir imposer aux autres ce qu’ils doivent penser. Chacun doit garder sa place, trouver la sienne et vivre sa vie dans le respect des uns et des autres. Il est important que l’on s’entende sur l’essentiel mais après chacun doit pouvoir avoir ses propres croyances, ses propres convictions. C’est dans cette optique d’ailleurs que j’ai créé la Marche de la fraternité à la Meinau, dont nous allons proposer la 4e édition cette année. Cette manifestation consiste à relier les différents lieux de culte présents dans le quartier avec des représentants de chaque religion. Y participent ainsi aussi bien des catholiques, des protestants, des évangélistes, des musulmans et des juifs. Chacun d’entre eux explique sa religion aux autres et tous les participants sont invités à leur poser des questions. C’est à la fois une façon concrète de permettre à chacun de s’exprimer conformément au principe de la liberté d’expression, de faire vivre celle-ci sur notre territoire et de faciliter les rapports entre tous.
Dans le milieu politique, la liberté d’expression est-elle toujours respectée?
En France, oui elle est respectée et elle va même assez loin. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’un politique puisse dire tout et n’importe quoi. Les lois existent en ce sens pour les politiques comme pour les citoyens. Par exemple, la loi Gayssot sanctionne un certain nombre d’expressions, comme le négationnisme, c’est-à-dire la négation de l’extermination des juifs par les nazis dans les camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. De même, bien entendu, il est interdit à tous entre autres de faire des appels au meurtre.
Avez-vous déjà été censuré ?
J’ai vécu des situations étonnantes. Au début des années 2000, alors que je travaillais à la préfecture du Haut-Rhin, il m’était arrivé de manifester un certain mécontentement au près du préfet du département du Bas-Rhin. Dès lors, on ne m’envoyait plus aux réunions de la préfecture du Bas-Rhin. Ainsi, lors d’une grande inauguration à Strasbourg, on m’a prié en haut lieu de ne pas venir. Mais j’ai décidé d’y aller malgré tout. C’était une forme de censure au final.
Vous êtes vous déjà autocensuré ?
Avec l’expérience, je me dis de plus en plus qu’il n’est pas bon de réagir à chaud. J’évite donc de le faire ce qui peut s’apparenter à de l’autocensure même si préfère le terme de « reformulation ». C’est une façon de dire que je préfère expliquer les choses calmement que de me faire invectiver. Il faut faire preuve de pédagogie, ne jamais mettre les gens directement en cause. Quand on est jeune, on est souvent plus vif, plus vite touché par les piques. Avec le temps, on relativise davantage.
Est-ce que l’état d’urgence a modifié la liberté d’expression ?
Pas à ma connaissance. En revanche, il y a par exemple des règles plus strictes à respecter, notamment en termes de déclaration préalable, lorsque l’on organise une grande manifestation publique. Mais elles ne sont là que pour assurer la sécurité des participants et non pas empêcher les gens de s’exprimer. Aujourd’hui comme hier, les gens peuvent déclarer ce qu’ils veulent tant qu’ils respectent la loi. C’est le cas, par exemple, des artistes qui continuent de monter sur scène. Alors oui, parfois le pire côtoie le meilleur, mais c’est aussi ça la France et l’esprit de Voltaire. Il faut apprendre à entendre des choses désagréables, à ce que des gens aient des jugements à l’emporte-pièce ou des expressions exaspérantes, car c’est aussi cela la liberté d’expression. L’enjeu est de ne pas faire le censeur parce que la pensée des uns n’est pas conforme à la sienne, mais de laisser faire le législateur.
Propos recueillis par Antoine Arnoux et Zoé Gass