“J’ai reçu des menaces de mort parce que je me suis moqué d’un village du Val de Villé” Roger Siffer, comédien

Comédien, homme de radio, chansonnier régionaliste, satiriste alsacien, Roger Siffer a d’abord participé à l’aventure du Barabli, le cabaret de Germain Müller, avant d’ouvrir son propre cabaret, la Choucrouterie, en 1984. Mais son rêve, avoue-t-il, “c’était de devenir majorette et de faire du twirling bâton”.  L’hymne de son cabaret est la chanson La liberté de penser, c’est dire à quel point Roger Siffer est attaché aux libertés en général et à  la liberté d’expression en particulier.

Pourquoi avez-vous choisi ce métier de satiriste ?

Roger Siffer : Au départ je n’étais pas satiriste, j’étais plutôt humoriste. C’était très compliqué de faire des choses régionales parce qu’il y a le risque de fermer rapidement  et aussi le risque d’une espèce de poujadisme souvent lié à l’extrême droite. Pour moi le régionalisme n’était envisageable que si c’était une ouverture sur le monde, un plus par rapport à la langue alsacienne. Par exemple quand j’ai ouvert ce théâtre, j’ai invité toutes sortes de spectacles : de la musique classique, du mime, du Jazz, de la chanson française,de la chanson lorraine. J’ai aussi invité une troupe suisse. Pour dire qu’à la Choucrouterie, ça ne sent pas seulement la choucroute mais aussi le couscous, la paella, etc. Ce qui m’intéresse ce n’est pas seulement la région mais le monde. Ma patrie c’est là où je pose mon “cul”.

Quelles limites mettez-vous à la liberté d’expression dans les textes que vous écrivez pour vos chansons et vos spectacles ?

C’est un très vieux débat qu’on a depuis toujours, et dans ce théâtre en particulier. En 30 ans l’humour a beaucoup changé. Il y avait des choses qu’on pouvait dire qu’on ne peut plus dire aujourd’hui car il y a maintenant les fanatismes religieux, la radicalisation. Il y a des thèmes qu’on ne peut plus aborder, par trouille, parce qu’ils sont détournés. Nous avions, par exemple, une émission de radio satirique qui s’appelait “Arrache moi La Jambe”. Toutes les semaines on faisait deux heures d’antenne. Mais elle n’existe plus depuis dix ans car on s’est “foutu de la gueule” du directeur qui était corse. Aujourd’hui, il faut être très prudent quand on fait de l’humour. Avec l’humour juif, par exemple, qui est extrêmement drôle et qui a beaucoup influencé l’humour alsacien. Quand un juif fait de l’humour juif, c’est drôle mais, actuellement quand c’est un goï qui fait de l’humour juif, cela peut être considéré comme raciste.

Depuis toujours, à la Chouc, on se moque de la personne qui arrive en retard pendant le spectacle parce que ça perturbe le jeu des acteurs. Alors, pour faire oublier le dérangement, on lui envoie des vannes. Un jour quelqu’un est entré pendant qu’on jouait et je lui ai dit : “Tu es tellement grand et con que tu pourrais boire à la gouttière” et là le public a rigolé. A la fin du spectacle un homme est venu me voir et m’a dit : « Bravo Siffer tu lui as donné du bon au bougnoul ». Il croyait que j’avais fait une blague raciste alors que moi je faisais de l’humour tout court. C’est pour ça qu’on doit parler prudemment, mais sans faire d’autocensure.

En tant que satiriste, vous considérez vous, au même titre que les journalistes, comme un vecteur de la liberté d’expression ?

Pour moi, les journalistes ne sont pratiquement plus un vecteur de cette liberté. Autrefois on appelait les journalistes le troisième pouvoir parce qu’il y avait l’opposition de la Presse. Maintenant, la plupart des journaux appartiennent à des industriels qui peuvent faire pression. Par exemple, Boloret qui est le propriétaire de Canal+ a viré Les Guignols De L’info pour mettre quelque chose de plus insipide parce qu’il n’aimait pas l’humour des Guignols et parce qu’il est copain avec Sarkozy. Il voulait les empêcher de se moquer de lui. Les journalistes sont donc très sournoisement censurés et je vais vous donner un autre exemple. L’Alsace, les DNA, Le Pays et tous les journaux de l’Est de la France appartiennent au Crédit Mutuel donc à une banque. Moi je suis abonné à l’Alsace et aux DNA. Le premier est fait à Mulhouse, le second à Strasbourg. Dans le premier cahier, là où il y a toutes les infos importantes du jour,  je peux vous assurer que dans les deux journaux il y a écrit la même chose mot pour mot et les mêmes infos vous les retrouvez dans le  Républicain  Lorrain et dans tous les journaux du groupe. Ils ont la même ligne éditoriale et politique. Il n’y a plus de différence comme autrefois entre les DNA qui était, pour être rapide, plutôt Centre Droit et L’Alsace qui était vraiment à droite. La seule chose qui change de temps en temps c’est la photo pour faire gagner un peu d’argent au photographe. Je ne suis pas sûr que les journalistes soient encore des gens libres.

Les cabaretistes ne sont pas non plus libres dans la mesure où ils dépendent de deux choses : l’argent du spectateur et l’argent public. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point la censure est sournoise. Il y a quelques années on avait baptisé le maire de Colmar ” Bac –5”. Ça ne lui a pas du tout plu. Il m’a téléphoné pour que nous arrêtions de l’appeler comme ça, ce que nous  n’avons pas fait évidemment. Il m’ a menacé. Il m’a dit : « Si vous ne supprimez pas ce surnom vous ne pourrez plus jouer à Colmar » et depuis 25 ans on ne peut plus jouer à Colmar, notre spectacle n’est plus acheté par la ville de Colmar. C’est devenu complètement ridicule car un producteur qui s’appelait Jean Marie Arusse avait acheté un de mes spectacles qui s’appelle “Ciel mon mari est muté en Alsace”. Il a loué sur ses deniers le théâtre de Colmar et espérait gagner des sous. La direction du théâtre a voulu voir le texte pour vérifier qu’on ne se moquait pas du maire.

Plus fort encore : on avait une revue satirique qui marchait vraiment très bien, on battait tous les records et on était  complet tout le temps. Quelqu’un de Turkheim voulait nous faire venir mais  a été obligé de le dire au maire de Turkheim qui a dit “non, il est pas question qu’il joue chez nous, je n’ai pas envie d’avoir d’emmerdes”. Alors oui il y a de la censure même si c’est de  façon extrêmement sournoise.

Vous faîtes passer des messages dans vos spectacles. Certains ont-ils déjà mis en scène des sujets parlant de liberté d’expression ou des atteintes qui lui ont été faites ?

L’hymne de la Choucrouterie c’est la chanson de la Liberté de penser. On termine souvent nos spectacles avec elle. C’est un texte anonyme en allemand qui date de 1780 et qui a été apporté en France pour soutenir les idées révolutionnaires.

Pour ce qui est du message, c’est bien ce qui pose problème. Ce qui est sûr c’est que la Choucrouterie est engagée au niveau politique. On a fait à l’intérieur du spectacle des sorties anti-front national. On avait fait une marionnette qui s’appelait Monsieur Propre parce qu’on ne voulait pas prononcer le nom de  Le Pen. On a été dénoncé exactement comme dans la période fasciste. En réponse, on a fait une exposition aux toilettex qui s’appelait “Il y a trop d’étrangers dans le monde”. Les gens nous remerciaient à la sortie du spectacle parce qu’on mettait en scène ce qu’ils pensaient tout bas. Ils se sentaient confortés dans leurs idées. Mais avec un spectacle ou une chanson on ne fait pas changer la position d’un spectateur. Si on pouvait faire changer le vote des

Français avec une chanson, même les politiques s’y mettraient. Mais ils font bien déjà assez “chier” comme ça sans qu’en plus ils viennent chanter.

Avez-vous déjà été menacé, insulté ou censuré par rapport aux propos que vous avez pu tenir dans vos spectacles ?

L’année où Le Pen était au deuxième tour des présidentielle, en 2002,  j’ai commencé à chanter en turc « Hadi bakalim kolay gelsin » et un type à Haguenau m’a pris et m’a menacé en me disant « Tes histoires de bougnouls tu peux les faire dans ton théâtre pas chez nous ». Même chose à Strasbourg : c’était au marché aux puces, un homme voulait me casser la gueule parce que je chantais en turc. J’ai aussi eu des menaces de mort parce que je me suis moqué d’un village du Val de Villé, et un type m’a dit que si je continuais il me tirerait une balle. Enfin, c’est moins grave que de se faire péter la gueule en Syrie.

Propos recueillis par Irem Nur Atay et Pablo Miranda

 

Die Gedanken sind frei

Die Gedanken sind frei, wer kann sie erraten

sie fliegen vorbei wie nächtliche Schatten

kein Mensch kann sie wissen, kein Jäger erschießen

mit Pulver und Blei, die Gedanken sind frei

 

Elles sont libres les pensées, personne ne peut les arrêter

Les pensées peuvent s’envoler comme une ombre dans l’obscurité

Aucun homme ne peut les deviner, aucun chasseur les tuer

Aucun fusil assassiner,  la liberté de penser.

 

Je pense que ce que je veux, et ce qui rend heureux,

Je le fais en silence à ma convenance

Mon désir, ma volonté, personne ne peut les réfuter

C’est ma réalité – la liberté de penser.

 

Et si on me jette dans un cachot profond

Toujours il me reste ma vérité au fond,

Aucun mur ne peut y résister, aucune frontière l’arrêter

C’est ma réalité – la liberté de penser