Jean-Martin Moyë

Les pierres de fondation

JEAN-MARTIN MOYË

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Rien n’est d’une plus grande importance

que l’éducation de la jeunesse, 

c’est de la jeunesse que dépend toute la vie.

Jean-Martin Moyë naquit le 27 janvier 1730 à Cutting (Moselle), un petit village du duché de Lorraine. Il est le sixième de treize enfants. Ses parents, paysans aisés, font figure de notables de village : aussi bons gestionnaires que chrétiens exemplaires. Jean-Martin héritera de la trempe de caractère et de la foi solide de sa race. Son père, Jean, a une dévotion spéciale à la Passion. La charité de Catherine est proverbiale. Ils éduquèrent Jean-Martin avec une tendresse vigilante et ferme, secondé par le curé Fiseney. Son frère aîné, Jean-Jacques, qu’une mauvaise santé contraignit à quitter le séminaire (+ 1744), y participa également. Doué d’une belle intelligence, de qualités de cœur, d’un sens aigu de la justice, Jean-Martin avait un penchant pour la prière et la solitude. Mais il ne s’isole pas de ses camarades. Juché sur le vieux poirier, il aime leur raconter la charité ingénieuse de son saint patron. Sa vocation se déclare très tôt : il sera prêtre.

L’ETUDIANT DE STRASBOURG

En 1747, Jean-Martin est immatriculé à l’Université Episcopale de Strasbourg, fondée en 1702 par Louis XIV et confiée aux Jésuites de Champagne, dans une perspective politique de francisation et de re-catholicisation. Le cursus des études (6 ans) était très complet. Une grande place y était faite à l’exercice de la disputation et à l’apprentissage des langues anciennes. La bibliothèque était riche de 50 000 volumes. Strasbourg fut pour Jean-Martin une expérience humaine privilégiée. Enfant de la campagne, il y côtoya des jeunes gens de différentes régions, nationalités, couches sociales. Enseigné, dirigé par les Fils de Saint Ignace, il put apprécier leur dynamisme apostolique. Exercé à la rigueur des disciplines intellectuelles et théologiques, il acquit une connaissance remarquable de l’Ecriture et de l’histoire ecclésiastique. Sa formation dogmatique les mettra à l’abri des déviations doctrinales. Mais il n’entrera pas dans la Compagnie à qui il gardera sa confiance et son admiration.

LE PRETRE A METZ

Entré au séminaire diocésain de Metz, Jean Martin fut ordonné le 09 mars 1754. Eludant une offre de professorat, il est intégré au clergé paroissial dans un diocèse en plein essor démographique dont les 90 % de la population sont des catholiques. Le protestantisme et le jansénisme ont régressé et la philosophie des Lumières se manifeste surtout par l’esprit libertin qui contamine un haut clergé, souvent étranger, ne prenant aucune part à la pastorale. Jean-Martin fut successivement vicaire dans les paroisses bourgeoises de Saint Victor et de Sainte Croix, puis de Saint Livier où il fut mis en contact brutal avec la pauvreté et la misère. Fidèle au Concile de Trente, Jean-Martin s’appliqua particulièrement à l’administration des sacrements. Il nourrit ses sermons d’Ecriture, les dépouillant de la rhétorique facile, convaincu qu’une instruction solide est indispensable pour mener une vie chrétienne responsable. Avec quatre confrères, et son ami intime Jobal de Pagny, il forma une petite équipe apostolique, dont la force était dans la prière et une inlassable disponibilité. Et cela dura près de dix ans !

LE FONDATEUR

jm_moyeSi Jean-Martin connaît les multiples situations de détresse qui existent à Metz, il est spécialement ému par l’ignorance dans laquelle croupissent les fillettes dans les hameaux où son zèle le porte à « missionner ». Comment instruire ces déshéritées ? Il existe certes de petites écoles, mais elles sont rares surtout pour les filles pauvres de la campagne. Jean-Martin ne dispose d’aucun moyen pour susciter des écoles dans les hameaux. Huit ans ce projet « insensé » l’habite. Et voilà qu’il rencontre Marguerite Lecomte, « sa perle ». Dans la ferveur de ses 20 ans, elle qui sait lire, est prête à partir, démunie de tout, vers les petites délaissées. Le 14 janvier 1762, avec trois compagnes, elle s’en va dans la région de Vigy.

Je les envoyai sans leur donner aucun denier,
comme Notre Seigneur avait envoyé les Apôtres,
les exhortant à s’abandonner entièrement
à la divine Providence.

Ces premières institutrices improvisées, qui se contenteront d’une porcherie abandonnée ou du dessous d’un escalier, sont avant tout motivées par l’Evangile.

LA PROVIDENCE REVELEE

Ces petits établissements firent du fruit, mais aussi du bruit. On blâmait fort l’imprudent vicaire et l’on plaignait ces filles naïves. L’Evêque prêta une oreille complaisante à ces plaintes : il défendit à Jean-Martin de poursuivre son œuvre. Cet arrêt fut ressenti par le fondateur comme un coup de foudre, souffert comme une agonie. Mais il se soumet pleinement. Tandis qu’il réitère son acte de dépouillement devant la Vierge à l’Enfant, il sent renaître comme un souffle de vie, une sorte de résurrection. Il s’en étonne lui-même et ce sont ses amis qui l’aideront à en donner le sens. L’évêque reviendra sur sa décision : les Sœurs lui sont rendues, au-delà de toute espérance, par la Providence. Cette expérience pascale sera décisive pour Jean-Martin et ses Sœurs : la Providence devient le principe et la norme de leur vie.

« Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6)

« Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8. 28)

LA CONTRADICTION

Outre l’établissement des Sœurs qui avait fait beaucoup jaser sur son compte, la publication avec Jobal d’un libellé sur le baptême des prématurés irrita les curés et les sages-femmes. Jean-Martin fut déplacé pour Dieuze, dans son pays natal. La malveillance le poursuit. Au bout de trois années, en pleine semaine sainte, il est frappé d’interdit pour cette paroisse. On lui reproche de jouer au thaumaturge et d’avoir refusé un sacrement. N’ayant plus de poste fixe, Jean-Martin prêche des missions dans des villages de prêtres amis puis dirige pendant quelques mois un grand séminaire à Saint Dié. En ces années d’errance, il n’est jamais déconcerté et donne à tous ces événements fâcheux un sens positif. N’a-t-il pas pu multiplier les écoles en différents secteurs de Lorraine ? N’a-t-il pas rencontré Marie Morel qui porte ses soins partout, Dominique Lacombe qui forme des jeunes filles dans son presbytère de Haut Clocher, le Chanoine Raulin qui établira les écoles dans les Vosges ? Son œuvre est entre de bonnes mains. Il peut partir. Pour toujours…, du moins le croit-il. Le 30 décembre 1771, il s’embarque à Lorient, sur le cargo Penthièvre, en route vers la Chine.

LE MISSIONNAIRE EN CHINE

Le 28 mars 1773, Jean-Martin , déguisé en marchand, arrive enfin à Tchen-Tou-Fou, la capitale du Su-Tchuen. La pénétration clandestine en Chine a été difficile, lente et périlleuse. Mgr Pottier lui confie un district où vivent 2000 chrétiens sur un territoire deux fois plus grand que la France. En mai 1774, il sera fait prisonnier, cruellement torturé durant dix jours avec son catéchiste Benoît Sen. Toujours en alerte, il se fait tout à tous, parcourant son immense territoire malgré les dangers, mettant sa foi en la Providence. S’il est parfois trahi, il a aussi des amis sûrs, dont Gleyo et des collaboratrices admirables. Ses initiatives missionnaires sont audacieuses. Ayant maîtrisé très vite le chinois, il rédige un manuel de prière en langue vulgaire. Il s’attaque à l’usure. Il envoie des femmes baptiser les enfants durant la famine et la peste en 1778 et 1779. Il suscite les Vierges Chinoises pour instruire les fillettes à l’instar de ses filles de France auxquelles il écrit chaque année. Il implante un petit séminaire dans la montagne de Vou-Lou. Sa santé s’étant détériorée, il décide de regagner la France.

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La divine Providence qui m’avait conduit en Chine me rappelait en Europe.

COMME UN ETRANGER

Jean-Martin s’empressa retrouver ses chères filles de Lorraine. Leur nombre avait considérablement augmenté. Il s’appliqua à les rétablir dans la ferveur première. Il en réunit un grand nombre aux Lindres ou son frère Jean-Pierre était curé. Il ouvrit un noviciat à Essegney, visita celui de Saint Dié, de Siersthal. Son point d’attache était Cutting dont il voulait faire le centre de formation général et d’où il rayonnait, donnant en plus de son enseignement des missions paroissiales. La Révolution éclata, le surprenant en pleine activité. Avec une vingtaine de Sœurs, il s’exila à Trèves pour ne pas prêter le serment de la Constitution Civile du clergé. Il y donnait des cours aux Séminaristes de Metz, des sermons, s’adonnait à l’adoration dans les nombreuses églises. Mais c’est en rendant visite de façon assidue aux soldats blessés refoulés de Valmy, qu’il contracte le typhus. Condamné, il se prépare à la réception des Sacrements et à la mort en toute lucidité. A ses sœurs éplorées, il laisse ce testament : «  Croissez et multipliez  ». Aux heures sombres du deuil, en plein chaos social, il les renvoie à la Genèse ! Un dernier regard vers la croix en étendant les bras, Jean-Martin meurt ce 04 mai 1793, fête de Sainte Monique, la sainte qui avait cru à la Providence !

UN CŒUR, UNE AME

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Jean-Martin Moyë meurt en une terre étrangère qui garde pour toujours le secret de sa sépulture. Mais l’Eglise a reconnu dans l’humble prêtre lorrain le chrétien exemplaire ; Proclamé Vénérable le 14 janvier 1891 par le pape Léon XIII, il est béatifié le 21 novembre 1954 par Pie XII. Il est fêté le 4 mai. Alors que la tourmente révolutionnaire anéantissait tant de grands Ordres, le petit grain de sénevé, à peine germé, a survécu. Il est devenu un grand arbre aux multiples rameaux. Six Congrégations, toutes de Providence, érigées canoniquement et indépendantes (Portieux, Saint-Jean-de-Bassel, Gap, Champion (Belgique), San Antonio (Texas), Missionnaires catéchistes de la Divine Providence (Texas), travaillent à l’œuvre d’éducation en Europe, en Amérique, en Afrique, en Asie. Elles ont gardé des liens fraternels qui se traduisent par des rencontres annuelles destinées à approfondir leur charisme commun. Depuis quelques années, elles partagent la spiritualité de leur Père selon l’Esprit avec des chrétiens réunis en Fraternités.

Marguerite Lecomte

Louis Kremp

Madeleine Ehrhard